oct 08
26
Cadre: une nouvelle forme d’esclavage moderne
Que ceux qui se reconnaissent…
- Je note une légère baisse de ton chiffre d’affaires cette année sur Pechinois.
- AS- Je voulais revenir sur notre entretien de jeudi.
- CH- Sur quoi ?
- AS- Je le retourne dans tous les sens, mais je ne comprends pas mon bonus.
- CH- Je suis aux taquets, là, mais je reviens vers toi dès que possible.
L’Open space m’a tuer est l’un des ouvrages chocs de la rentrée, dénonçant, avec cynisme et un pointe de caricature, les travers de l’entreprise moderne. Open-space, réseaux sociaux, séminaires de team building, autoévaluation… tout y passe. Extrait.
« Anne-So (consultante) a le sentiment de ne pas exister auprès de la direction. « Y a pas un associé qui pourrait s’intéresser ne serait-ce que deux minutes à mon boulot sur le projet Pechinois. Je ne demande pas la lune. Juste un minimum de considération. » Confiante dans la qualité de son travail, Anne-So n’a pas communiqué dessus. Charles-Henri, son évaluateur, n’a aucune visibilité sur elle. Il ne trouve rien d’autre à lui dire que ça :
« Normal, ils ont réduit leur budget prestataire et n’ont pas de nouveau besoin. Je n’y peux rien à ça ! Et Charles-Henri, il n’y a que ça qui l’intéresse. Dans ces conditions, pourquoi je me tuerais au boulot ? Ils ne voient pas tout ce que j’abats ! Si je n’arrête pas un moment, je ne serai plus crédible », se dit Anne-So.
Le lendemain, Anne-So échange en one to one avec Charles-Henri :
Il « revient vers elle » par e-mail.
Chère Anne-Sophie,
Pour faire suite à notre entretien de jeudi et dans le cadre de tes responsabilités, tu sembles déçue par ton bonus 2005. Je peux aisément le comprendre, mais tu dois entendre aussi que, sur 2006, le prévisionnel de ton client est en baisse de -62 %, soit la plus forte chute de l’ensemble des comptes stratégiques. Et que ta participation active pour Pechinois n’est plus à démontrer. Afin de ne pas perdre de temps et dans un esprit constructif, je te remercie de bien vouloir me dire ce à quoi tu t’attendais pour tes performances sur l’année 2005. Merci de me répondre rapidement.
Charles-Henri
« Je me suis mis le client dans la poche. Tout le département des services financiers a une bonne image d’Anderstand Consulting. Tout ça… pour ça ! »
Anne-So bloque sur le bonus, mais c’est un symbole. À travers ça, elle prend conscience que sa boîte ne s’intéresse pas à elle, ni à son boulot. Difficile dans ces conditions d’avoir confiance en soi et de se motiver. Difficile de puiser dans ses réserves lors des coups de bourre. Elle commence à se consumer au travail. Grosse solitude. Grosse fatigue.
Lorsqu’elle rentre le soir, elle s’affale sur le canapé et n’a plus envie de rien. Elle sent une tension au niveau de la main et de la nuque. Son corps se raidit, ses nerfs se bloquent. Des idées fixes lui viennent et lui reviennent en surnombre sans arrêt. Comme un cauchemar éveillé, saccadé et répétitif. Dans un film, il y a vingt-quatre images par seconde. Là, elle a l’impression de les voir arriver toutes en même temps. Ses yeux sont fermés, mais elle n’arrive pas à s’endormir tellement elle a mal à la tête. Ça va s’arrêter ou je vais mourir avant ?
L’impression d’être une nageuse au milieu de la mer, soit elle se bat contre les vagues et elle se noie, soit elle se laisse porter comme un vêtement dans une machine à laver jusqu’à ce que le programme s’arrête, et qu’on ouvre le hublot. Ça dure presque toute la nuit. Elle s’endort sur le canapé à 4 h 30.
Réveil difficile. Pas assez d’énergie pour aller bosser ce matin. Anne-So rassemble ses forces pour aller raconter sa crise d’angoisse à son toubib.
- T- Vous avez fait ce qu’on appelle une attaque panique.
- AS- Ah bon ! Et c’est fréquent ?
- T- En ce moment, j’en vois pas mal, dues notamment au stress de salariés isolés dans leur souffrance. Vous êtes en situation de stress au bureau ?
- AS- Oui, j’en ai marre de bosser pour rien.
- T- C’est-à-dire ?
- AS- Je me suis beaucoup donnée dans le boulot. Et en échange zéro reconnaissance.
Anne-So est arrêtée une semaine, puis retourne au bureau. Pas évident de revenir légère après ce qui lui est arrivé. Forcément, ça jase.
- Elle a une sale tronche.
- Elle doit sûrement traverser une mauvaise passe…
Une semaine après son retour, Anne-So n’a pas retrouvé un minimum d’envie. Elle n’a surtout plus envie de continuer à se détruire. Ses cheveux ont perdu en qualité, ses ongles sont complètement rongés. Puis elle se retrouve trop seule dans sa quête de reconnaissance. Elle replonge en arrêt maladie durant un mois. À son second retour, elle démissionne pour se revendre ailleurs. Démotivation, dépression, démission. Certains vont même jusqu’aux tribunaux pour obtenir une reconnaissance… « posthume ». »
Merci au JDN.
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C’est un Barrabillet du Barrablog